En 2020, l’Afrique de l’Ouest a connu une saison de la mousson d’une rare violence. Les pluies diluviennes qui ont frappé les 12 pays de la bande sahélienne, ont causé des milliers de déplacés et des centaines de disparus. Le Nil a atteint un niveau de 17,57m, son record absolu depuis 100 ans. L’ampleur exceptionnelle de cette mousson sahélienne pose question : est-ce l’une des conséquences du changement climatique ? Ce type d’évènement est-il amené à se reproduire à l’avenir ?
Les experts du climat répondent à cette question avec prudence et rappellent que le régime de pluies sahélien est par nature sujet à une grande variabilité. C’est aussi le postulat de Juliette Mignot, océanographe au laboratoire d’océanographie et du climat (LOCEAN-IPSL). Ses recherches portent sur les variations du système climatique aux échelles de temps interannuelles à décennales, avec une attention particulière sur le rôle de l’océan.
La mousson promet-elle d’être de plus en plus intense d’année en année ?
Dans la région du Sahel, le climat a été durablement perturbé pendant la grande sécheresse de la décennie 1970-80, responsable d’une famine historique. Une telle conséquence rend la prévision climatique d’autant plus essentielle pour les populations locales. Certains auteurs ont affirmé que la reprise des pluies à partir des années 1990 était liée au réchauffement climatique, mais ces résultats sont encore discutés. De plus, le régime même des précipitations au cours de la saison de mousson semble évoluer ; les pluies seraient de plus en plus violentes. Juliette Mignot, océanographe à l’IPSL, propose un constat plus contrasté.
« À ce jour, on en est à constater le phénomène et à le décrire », précise-t-elle. « Dans les phénomènes climatiques extrêmes, les conséquences sont parfois très impressionnantes. Mais il faut se méfier de ces impressions humaines, savoir mettre de côté la subjectivité. »
Les inondations hors-normes qui ont suivi la mousson ont par ailleurs été aggravées par d’autres facteurs anthropiques comme l’artificialisation des sols, l’abandon des jachères, l’exil des populations vers les villes, et une politique de développement urbaniste inadaptée. Autant d’éléments qui multiplient les effets des phénomènes météorologiques.
Pour autant, seules des analyses approfondies de données pluviométriques et atmosphériques permettront aux experts du climat de savoir si la violence des moussons s’intensifie vraiment, et ce qu’il faut attendre pour l’avenir. « Nous ne pouvons pas encore certifier que ces pluies seront plus violentes, ou plus régulières dans les prochaines années » poursuit l’océanographe. « Pour l’heure nous cherchons à compiler et interpréter des données sur une longue période de temps et à haute fréquence : jour par jour, et ce dans les différentes régions touchées. Au Sénégal par exemple, nous disposons de près de 100 années de données journalières. »
Quel est le rôle de l’océan dans ce phénomène ?
Les courants océaniques et la chaleur qu’ils transportent jouent un rôle important dans la machine climatique. « On sait que l’océan Atlantique est lui-même soumis à de multiples influences, qui ont des répercussions sur le climat global » explique la chercheuse. « Au-delà de cette variabilité intra saisonnière, il joue un rôle de modulation basse fréquence de la mousson.
Jusqu’à présent on a pu remarquer des décennies plutôt sèches et d’autres plutôt humides. Depuis quelques années, les précipitations ont tendance à revenir, ce qui entre en corrélation avec des modulations de température de l’océan Atlantique. Or la circulation thermohaline, due aux différences de densité de l’eau de mer provoquées par des écarts de température et de salinité des masses d’eau, risque de ralentir » alerte la chercheuse. « Cela pourrait donc avoir des répercussions sur le phénomène de mousson, entre juillet et septembre. »
L’intensité de la mousson est-elle la même sur toute la bande sahélienne ?
Pour Juliette Mignot, la description de la mousson via une moyenne statistique n’est peut-être pas appropriée. « Jusqu’à il y a 10 ans, on décrivait la mousson comme une moyenne intégrée dans le temps et dans l’espace », rappelle-t-elle, « du Sénégal au Niger, sur les trois mois de mousson. Pourtant, il existe de grandes variations à l’intérieur de cette saison et de cette région. Par exemple au Sénégal, le cycle est tout à fait différent de ce qui peut se passer au Niger. L’évolution des modulations intra-saisonnières l’est probablement également. »
D’où l’intérêt pour Juliette Mignot et les autres experts du climat, de décrire les variabilités basses fréquences du phénomène et de proposer des pistes de recherche. D’autant que les modèles climatiques suggèrent une évolution différente de la mousson selon la zone : une fin précoce au Niger, des précipitations plus ou moins intenses selon les pays, etc.
C’est dans ce contexte que l’IRD a mis en place un partenariat franco-sénégalais, qui a donné lieu à la création du laboratoire Mixte International ECLAIRS2.
Qu’est-ce que le Laboratoire Mixte International ECLAIRS2 ?
« Ce partenariat franco-sénégalais est financé par l’institut de recherche pour le développement (IRD) et vise au déploiement d’un service d’anticipation et de lutte contre le changement climatique au Sénégal, en lien étroit avec les agences et structures opérationnelles locales » explique la climatologue. Une collaboration historique dont l’un des objectifs est de mieux comprendre les mécanismes à la base de deux phénomènes clés du climat sénégalais : la mousson ouest africaine et l’upwelling côtier.
En tant que directrice du laboratoire, Juliette Mignot se rend environ deux mois par an au Sénégal. « Une quarantaine de chercheurs sont impliqués dans ce laboratoire virtuel » se félicite-t-elle. « Nous recevons aussi beaucoup d’étudiants. Notre objectif est de pouvoir former de jeunes chercheurs sur place, pour renforcer la recherche de haut niveau au Sénégal. »
Aissatou Badji, doctorante entre Paris et Dakar
Spécialisée en étude de la variabilité intra-saisonnière de la mousson africaine, Aissatou Badji est l’une des doctorantes du laboratoire ECLAIRC2. Elle a pu bénéficier d’une bourse dans le cadre de sa thèse pour rejoindre les équipes du LOCEAN à Paris pendant 4 mois.
C’est en participant à un concours sur le thème de la météorologie alors qu’elle est étudiante en licence à l’université de Dakar, qu’elle se découvre une passion pour ce domaine. « Après mon master en sciences de l’ingénierie avec une spécialité en océanographie et météorologie, j’ai obtenu une bourse d’études et j’ai intégré le laboratoire mixte pour y faire ma thèse » raconte la doctorante.
Elle mène aujourd’hui ses recherches sur la variabilité et la prédictibilité décennale des indicateurs pluviométriques au Sénégal. « Je suis dans une phase de comparaison de différents indices de pluie, ce sont des résultats préliminaires pour l’instant », explique la doctorante, “mais on observe déjà des similitudes sur les modulations décennales des indicateurs intra-saisonniers des précipitations au Sénégal. »
Aujourd’hui, alors que son expérience au LOCEAN touche bientôt à sa fin, elle se réjouit de cette collaboration franco-sénégalaise. « C’est très positif de pouvoir faire ses études dans un cadre international. Le partage d’expériences entre chercheurs et doctorants est une vraie richesse. »