Limiter les coûts des stratégies pour réussir à suivre les Accords de Paris
Équilibrer les actions d’atténuation de méthane et de CO2 progressivement en cours de route
Une publication dans Science Advances offre une nouvelle vision sur les facteurs de conversion des autres gaz à effet de serre comme le méthane en leur équivalent CO2. L’équipe de chercheurs à l’origine de la publication met en avant l’avantage économique de réévaluer périodiquement les facteurs de conversion en fonction de la trajectoire empruntée.
Cinq chercheurs[1] apportent un éclairage sur un point décisif pour la réduction des gaz à effet de serre (GES) : la première analyse économique des choix des facteurs de conversion des autres GES comme le méthane en leur équivalent en CO2 pour les scénarios dits « overshoot ». Alors que la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (UNFCCC) envisage de définir une valeur de référence (nommée une métrique commune) pour effectuer cette conversion au cours des Accords de Paris, les modèles utilisés ici montrent plutôt l’avantage économique d’une flexibilité entre différents facteurs de conversion. « Une notion au cœur de la convention-cadre UNFCCC est de réduire les émissions de GES de manière à garantir des avantages globaux » précise Katsumasa Tanaka, auteur principal de l’étude publiée dans Science Advances.
Leur analyse propose des séries de variations dynamiques des facteurs de conversion en fonction des trajectoires possibles, pour limiter le coût économique associé tout en maintenant une certaine stabilité pour anticiper les politiques. Les chercheurs ont analysé différents scénarios : ceux des Accords de Paris où nous arriverions à se stabiliser à 2°C et 1.5°C et ceux « overshoot » dans lesquels nous dépasserions significativement ces objectifs et devrions redoubler d’efforts. Ces scénarios de dépassement sont une violation des Accords de Paris, mais les auteurs soutiennent que ces possibilités ne peuvent pas être évincées au vu des politiques climatiques actuelles pour le court-terme. Ils mentionnent aussi que pour que ces scénarios soient viables, de considérables efforts d’atténuation seront nécessaires au cours de ce siècle. Ils ont appliqué les facteurs de conversion dans le modèle numérique et simulé le coût supplémentaire pour atténuer le réchauffement climatique en fonction de ces scénarios pour définir les valeurs les plus avantageuses.
Choisir un facteur de conversion commun
Un système de conversion en équivalent CO2 est utilisé pour étudier les contributions des différents gaz à effet de serre sur un temps donné et identifier les actions prioritaires. Un exemple bien connu est le potentiel de réchauffement global (ou GWP en anglais). Pour que les différentes parties prenantes des Accords de Paris puissent partager des objectifs et comparer l’effet de leurs politiques, le GWP100 (le potentiel de réchauffement global sur 100 ans) a été choisi comme référence. Les gaz à effet de serre ayant des durées de vie et des impacts radiatifs très différents, ces conversions dépendent du choix d’un horizon temporel.
« Avec le GWP100 nous regardons alors l’effet de serre cumulé sur une période de 100 ans. Cela donne pour le méthane un facteur de conversion de 28. Donc 1 kilo de méthane est 28 fois plus puissant qu’un kilo de CO2 » explique Johannes Morfeldt, collaborateur suédois de l’étude. Comme le méthane a un pouvoir radiatif plus fort mais une durée de vie plus courte que le CO2, si nous regardons l’effet cumulé sur 20 ans (GWP20) son poids est beaucoup plus important dans l’effet de serre : 84 fois plus que le CO2.
Changer la temporalité change le facteur de conversion, et de fait oriente les priorités. Si 1 kilogramme de méthane est 84 fois plus conséquent que le CO2, il sera plus efficace de baisser le bilan global en s’occupant du méthane. Un débat est en cours depuis les années 90 sur le facteur de conversion qui devrait être utilisé. Les chercheurs ont souhaité apporter des informations supplémentaires sur leur coût économique en fonction des trajectoires de réchauffement possibles.
« Nous remarquons avec ces modèles que le GWP100 est bien pour les prochaines décennies mais n’est pas idéal par la suite » clarifie Phillipe Ciais, un des co-auteurs de la publication. « Dans un scénario idéal de stabilisation à 2°C il n’y a pas de trop gros écarts. Mais dans le cas d’un dépassement de la température, il y a une grosse différence entre le facteur de conversion idéal aujourd’hui et celui lorsque nous arrivons proche des 2°C. Si nous ne faisons pas changer ces facteurs de conversion de manière dynamique, il faudra compter un coût additionnel pour la société pour atténuer le changement climatique » ajoute Olivier Boucher, également co-auteur.
Une feuille de route optimale
L’équipe de chercheurs a aussi modélisé les coûts supplémentaires d’atténuation pour estimer quel facteur de conversion serait le moins cher à un moment donné pour les différentes trajectoires. Ces modèles montrent que de garder un GWP100 figé implique des coûts d’atténuation supplémentaires qui pourraient être évités en changeant dynamiquement les facteurs de conversion en fonction de la trajectoire empruntée. Ces coûts sont estimés à 2% supplémentaires dans un scénario idéal de stabilisation, mais presque 5% dans un des scénarios de dépassement. Les horizons de temps et les trajectoires de réchauffement font aussi varier ces coûts additionnels. « Cela montre que les facteurs de conversion idéaux dépendent du temps mais sont aussi déterminé par les trajectoires empruntées et fortement influencés par le dépassement des objectifs de températures » soutient Daniel Johansson, co-auteur suédois de la publication.
Ils montrent que de s’adapter aux trajectoires possibles en changeant de GWP100 à d’autres horizons plus court terme dans le futur pourrait épargner des coûts d’atténuation, comparé à l’utilisation seule de GWP100. Bien sûr, ils reconnaissent que ces valeurs ne peuvent pas changer constamment pour que les politiques puissent être anticipées. Ils proposent alors des combinaisons simples et réalistes de ces facteurs de conversion en fonction de leur coût optimal pour les différentes trajectoires de réchauffement possibles. Les chercheurs suggèrent « que l’UNFCCC et les Parties de l’Accord de Paris considèrent d’estimer périodiquement les choix de facteurs de conversion appropriés au fur et à mesure que la trajectoire que nous empruntons se dévoilera devant nous, pour mettre en place les options d’abattement des émissions les plus avantageuses économiquement ».
Ne connaissant pas la trajectoire sur le long-terme, la problématique du coût optimal des facteurs de conversion pourrait être incluse dans les évaluations techniques soutenant le bilan global de l’UNFCCC. Cet élément clé des Accords de Paris analyse tous les 5 ans le progrès collectif des pays vers les objectifs sur le long terme et vise à intensifier l’ambition des politiques nationales. L’avantage de prendre en considération cette problématique dans le bilan global serait de réaliser cette analyse dans les temps pour informer les sessions suivantes à mesure que la trajectoire empruntée se présentera.
Pour en savoir plus
[1] Katsumasa Tanaka, LSCE-IPSL, CNRS/CEA/UVSQ, Université Paris-Saclay ; NIES, Tsukaba Japan, Olivier Boucher, IPSL/CNRS, Phillipe Ciais, LSCE-IPSL, CNRS/CEA/UVSQ, Université Paris Saclay, Daniel J.A. Johansson et Johannes Morfeldt, Division of Physical Resource Theory, Department of Energy and Environment, Chalmers University of Technology, Gothenburg, Sweden
Référence : Cost-effective implementation of the Paris Agreement using flexible greenhouse gas metrics, K. Tanaka, O. Boucher, P. Ciais, D. J. A. Johansson, and J. Morfeldt, Science Advances (2021)